L’aide apportée aux Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale par des non-juifs dans Jan Karski de Yannick Haenel et La liste de Schindler de Steven Spielberg

Adolf Hitler

La Seconde Guerre mondiale est une catastrophe qui, malgré les décennies qui passent, fascine toujours autant. À l’époque, Adolf Hitler, dictateur totalitaire, avait vu en l’Allemagne affaiblie par la crise économique de 1929 une porte d’entrée pour le nazisme, idéologie selon laquelle l’espèce humaine est divisée en races et classée hiérarchiquement. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, il n’y a eu autant de victimes. Cette guerre a mobilisé le monde entier, qui y a participé de loin ou de près. Après l’orchestration d’Adolf Hitler, l’humanisme a même été questionné. L’homme serait-il revenu au point de départ, à son état barbare? Comment était-il possible qu’après des siècles de civisme, l’humanité fasse preuve d’une telle cruauté envers un groupe appartenant aux siens? Ce rêve moderne d’humanisme n’aurait donc par survécu au 20e siècle, ce qui suscite, encore aujourd’hui, une grande inquiétude chez certains. De plus, la Deuxième Guerre mondiale a franchi toutes les limites de l’horreur : camps de concentration, ghettos, tests médicaux sur les victimes, maladies. La torture des Juifs s’est vite transformée en commerce très lucratif; on vendait leurs vêtements ainsi que tout ce qui leur appartenait. Cette guerre fut également le théâtre des deux seuls bombardements atomiques n’ayant jamais eu lieu, soit Hiroshima et Nagasaki. Cette découverte du nucléaire laisse planer depuis une peur généralisée, puisque l’utilisation du nucléaire dans le cas d’une guerre mènerait rapidement à notre perte. Toutefois, malgré le désespoir et l’horreur de la Deuxième Guerre, certains ont risqué leur vie pour tenter d’aider les Juifs. Même si le destin ne les liait pas à cette mission, ils ont fait face à d’atroces situations afin de faire une différence dans le conflit.
La liste de Schindler, Steven Spielberg,
1993, États-Unis
 Yannick Haenel, auteur de Jan Karski, paru en 2009 à Paris, a écrit son livre à partir du témoignage d’un résistant polonais, messager de l’horreur la Seconde Guerre mondiale. Ce livre est une composition fragmentaire, il est séparé en trois parties. L’une est le résumé des paroles de Jan Karski dans le film Shoah de Claude Lanzmann, où il parle de son expérience traumatisante en tant qu’intermédiaire. La deuxième partie est un résumé de l’autobiographie que ce dernier a écrite et la dernière est une « alterfiction[1] » mélangeant la vie de Karski aux pensées de Haenel. On découvre tout au long le désespoir d’un jeune Polonais portant sur ses épaules une tâche énorme, la tâche d’alerter le monde entier de l’extermination imminente des Juifs en Europe. Il risque sa vie plusieurs fois afin de mener à bien sa mission, c’est-à-dire sauver le nombre restreint de Juifs encore vivants, mais nul ne l’écoute. Ce roman gagne le prix Interallié en 2009 et est qualifié d’audacieux, de percutant et d’original[2]. Steven Spielberg réalise un film dans le même ordre d’idées, La Liste de Schindler, sorti en 1993 aux États-Unis. Ce film en très grande partie en noir et blanc raconte l’histoire véridique d’Oskar Schindler, un riche industriel allemand, membre du parti nazi, qui ouvre une usine lors de la Deuxième Guerre mondiale. Il engage une main-d’œuvre juive pour son faible coût, mais réalise vite le potentiel de vies qui pourraient être sauvées par l’entremise de son usine. La Liste de Schindler gagne sept Academy Awards, dont ceux du Meilleur film et du Meilleur réalisateur. Malgré la vision « hollywoodienne » de Steven Spielberg, son film est acclamé par la critique.

Yannick Haenel, Jan Karski

L’objectif de cette analyse est d’étudier l’aide qui a été apportée aux Juifs par des non-juifs, appelés les Justes[3], dans Jan Karski de Yannick Haenel ainsi que dans La Liste de Schindler de Steven Spielberg, en se penchant sur plusieurs aspects, tels ce qui a déclenché le désir d’aider chez les Justes, la perception que la société a des sauveurs ainsi que la pression inévitable d’une telle mission.





1.      Le déclenchement du désir d’aider les Juifs chez les Justes
DANS JAN KARSKI DE YANNICK HAENEL

Jan Karski est un jeune résistant polonais non-juif de 25 ans. C’est à la suite de la découverte de l’horreur des ghettos que Karski développe l’idée qu’il est investi d’une mission à laquelle il n’a pas le droit de se soustraire : celle de dénoncer ce qu’il a vu. Au début de la guerre, il a peine à croire qu’Hitler est réellement menaçant, jusqu’à ce qu’il soit appelé à combattre. Ce jour-là, des avions allemands envahissent Auschwitz, où l’artillerie de Jan Karski se trouve. Le wagon qu’il occupe lors de leur retrait est l’un des seuls à être épargné par l’aviation allemande; c’est à ce moment que le jeune homme se rend compte du sérieux de la situation ainsi que de la chance dont il bénéficie d’être encore vivant. Au bout de plusieurs jours d’errance, les soldats apprennent qu’il n’y a plus de gouvernement polonais, pris d’assaut par l’URSS, et que toute tentative de conserver des armes sera considérée comme une trahison. Jan Karski est donc prisonnier de l’Union Soviétique, où il est envoyé dans un camp de travail. Après s’être échappé, il retrouve ses amis qui ont effectivement mis sur pied un mouvement de résistance. Jan Karski est ensuite officiellement chargé de livrer un appel au monde entier : les juifs sont en train de se faire exterminer. Toutefois, pour ce faire, il doit visiter les camps de concentration ainsi que les ghettos pour prouver aux présidents, non impliqués dans le conflit, que les informations qu’il rapporte sont véridiques.
Le roman est construit en ascension dramatique, qui correspond à la prise de conscience de Karski. Jan Karski visite tout d’abord les ghettos et ensuite les camps de concentration. Les ghettos sont des quartiers complets en eux-mêmes. Des règlements sont même imposés afin de nuire aux Juifs qui y vivent. Les ghettos apparurent alors qu’Hitler annonçait dans Mein Kampf l’exclusion des Juifs, même convertis, de la société[4]. Le ghetto de Varsovie est le plus peuplé, contenant un demi-million de Juifs. Ils réussissent tout de même à se bâtir une vie au ghetto, notamment en construisant des écoles et des théâtres. Vivre dans ce quartier n’est qu’une étape à franchir avant l’annihilation, la grande majorité des Juifs sont envoyés dans les camps de concentration. Nombre d’entre eux se révoltent contre les Allemands, ce qui mène à des ghettos rasés ou vidés par les déportations.


Jürgen Stroop, 1943

Jan Karski visite donc le ghetto de Varsovie en premier. Cet emplacement où les Juifs sont entassés est séparé en deux; il y a le petit et le grand ghetto. Les ruelles y sont étroites et malodorantes, la vermine est partout et plusieurs maladies courent. Les corps sont entassés, nus, dans la rue : «Il y avait des corps nus partout. Alors je lui ai demandé : - pourquoi ne les enterrent-ils pas? Et il m’a répondu que les familles juives devaient payer des taxes en plus des coûts d’enterrement, alors ils les jettent dans la rue, mais gardent quand même leurs vêtements, car tout vaut de l’or au ghetto.»[5] Le ghetto est un synonyme de survie, car la nourriture n’est distribuée qu’aux Juifs qui ont un travail, et en très faible quantité. Cet endroit caractérise la mort d’un peuple : « il n’y avait plus rien d’humain dans ces formes palpitantes.»[6] Haenel utilise cette antithèse afin de suggérer que les Juifs ne sont plus que des fantômes errants dans le quartier. Certains n’y survivent tout simplement pas, alors que d’autres sont déportés vers les camps de concentration, s’ils supportent le transport. Jan Karski voit aussi ce que l’on nomme «la chasse.» Il s’agit de gamins des jeunesses hitlériennes qui tirent sur des Juifs choisis au hasard. Ce «jeu» traumatise profondément Karski, qui est hanté par ces images. Plus loin dans le roman, il doit visiter le camp d’Izbica Lubelska, où un gardien ukrainien lui passe son uniforme ainsi que ses papiers afin qu’il puisse y pénétrer. Tous ces Juifs proviennent des ghettos et sont laissés plus de quatre jours sans eau ni nourriture : «Les femmes qui faisaient boire leurs enfants n’avaient même pas de seins, que des os. Les enfants pleurent parce qu’ils sont affamés.»[7]   La plupart décèdent suite à ces sévices. Jan Karski et son guide ont à enjamber des dizaines de cadavres, ce qui lui donne la nausée : «Ce n’était pas humain, c’était l’enfer.» Un passage du roman est si inconcevable qu’on se demande presque si Karski ne l’a pas inventé : «Le plancher du train, explique-t-il, avait été recouvert de chaux vive. Avec la chaleur des wagons, les corps deviennent humides; ils se déshydratent au contact de la chaux et brûlent.»[8] Ces images atroces, Karski les a vu, il les a vécu et elles le rongeront toute sa vie. Il est donc évident que ce traumatisme le pousse à tout faire pour livrer le message dont il s’est investi.



DANS LA LISTE DE SCHINDLER DE STEVEN SPIELBERG
Oskar Schindler, membre du parti nazi, réalise qu’il désire aider les Juifs en les côtoyant dans son usine : il se rend compte que la propagande nazie est truffée de mensonges et que les Juifs ne diffèrent fondamentalement pas des Allemands. Le film de Steven Spielberg commence avec une scène où l’on voit Oskar Schindler dans un restaurant, entouré de femmes. Ce dernier possède une richesse importante et en profite abondamment, notamment en se payant de nombreuses bouteilles d’alcool coûteuses. Ce personnage est donc très aisé et aime profiter de la vie. Cette scène du film est calme et filmée avec des plans classiques, ce qui créer un réel bris avec la scène suivante, qui représente un ghetto juif : des milliers de gens sont forcés de quitter leurs maisons afin d’aller vivre entassés dans un petit appartement. À ce moment, on voit en simultané un père juif arrivant dans un appartement où il y a déjà cinq familles dire que «ça ne pourrait pas être pire», ainsi qu’Oskar Schindler dans ce que l’on peut déduire sa nouvelle maison, dire «que ça ne pourrait pas être mieux.[9]» À ces paroles, on peut voir les vies complètement opposées que mènent les Juifs comparés à celle d’un riche industriel allemand. Cette antithèse met en lumière le fait que Schindler n’est en aucun cas destiné à jouer ce rôle de sauveur au départ.
Plusieurs scènes sont construites en dualité dans le film, surtout celles où l’on aperçoit le ghetto. Cette dualité met en lumière le fait que, malgré le statut de Schindler, les ghettos ont réussi à l’émouvoir. Un jour, Schindler visite ce lieu malsain avec des officiers S.S et ces derniers lui expliquent qu’une rue sépare le ghetto en deux; à gauche sont entassés vieillards et handicapés, alors qu’à droite on retrouve les Juifs aptes à travailler. Schindler semble indifférent à cette situation effroyable : il y voit une possibilité d’obtenir de la main-d'œuvre peu coûteuse, alors qu’un des officiers S.S semble très mal à l’aise. Encore une fois, la voiture luxueuse dans laquelle ils se promènent détonne avec la pauvreté qui les entoure. Spielberg utilise cette antithèse pour démontrer que Schindler n’éprouve, au départ, aucune sympathie envers ces Juifs. Un soir, les S.S débarquent dans le ghetto afin d’opérer un grand «nettoyage.» Des centaines de Juifs sont froidement tués alors que d’autres se cachent. Un homme planqué dans un piano depuis très longtemps décide de sortir. En marchant accidentellement sur les touches de l’instrument, le Juif se fait entendre par les S.S et ces derniers montent immédiatement l’abattre. Les pas maladroits du Juif sur le piano se transforment en mélodie classique, ce qui, une fois de plus, créé une antithèse entre la vie malheureuse de la population juive et la vie festive des Allemands, qui ne semblent pas ébranlés par le drame nazi. La scène d’ensuite est toujours en opposition avec la dernière, où l’on passe d’une zone pauvre à une grande réception allemande.


Jürgen Stroop, 1943


De surcroit, lors de balades avec ses amantes, Schindler assiste souvent à d’horribles scènes incluant des Juifs. Alors qu’il se promène avec l’une d’elles en cheval, ils se retrouvent face à une scène d’horreur : des Juifs du ghetto sont tués au hasard. L’amante de Schindler est horrifiée et souhaite partir, mais ce dernier semble obnubilé par la situation. Cette situation déclenche chez Schindler un questionnement : le nazisme est-il légitime? Il ouvre par la suite une usine d’objets émaillés et engage des Juifs pour leurs faibles coûts salariaux. Toutefois, malgré le fait qu’il prend part au parti nazi, il interdit à qui que ce soit de faire du mal à ses employés, quitte à payer s’il le faut. Les employés ne cessant de le remercier, Schindler réalise alors qu’il commet une action très généreuse en embauchant des Juifs. C’est à ce moment qu’il réalise qu’il souhaite sauver ces opprimés coûte que coûte. Il se fait alors une promesse : protéger ses employés, au détriment de sa vie s’il le faut. La transition entre l’homme qu’il était avant et celui qu’il devient se fait très rapidement.
La liste de Schindler, Steven Spielberg, 1993,
 États-Unis
Dans La Liste de Schindler, les scènes où apparaissent des camps de concentration sont particulièrement émotives, puisqu’elles mettent toujours en scène les Juifs de Schindler qui ne devraient pas s’y trouver. En effet, au début du film, Schindler demande à son assistant de faire une liste où l’on retrouve tous les noms de ses employés, en croyant qu’ils seraient ainsi protégés. Malheureusement, cette liste n’est qu’une formalité et les Juifs de Schindler se retrouvent aussi dans des camps de concentration. L’industriel allemand paie une fortune pour que ces employés en sortent vivants. Toutes ces scènes sont tournées caméra à l’épaule pour montrer l’urgence et l’importance de la situation, ce qui témoigne du dévouement du directeur envers ses travailleurs. De plus, les gros plans sont souvent utilisés pour dessiner une histoire sur le visage qui  va vers la mort; ce procédé augmente sans aucun doute la tension dramatique. La scène la plus marquante du film est celle où les ouvrières de Schindler sont «accidentellement» déportées vers un camp de concentration. On les voit avec leurs enfants, alors que certaines en sont séparées cruellement. Les nazis rasent leurs cheveux et prennent leurs vêtements. Elles sont alors amenées, nues, dans une énorme chambre où se trouvent plusieurs douches. Les femmes sont persuadées que du gaz s’en échappera, et malgré la peur qui les ronge, elles doivent rester fortes devant leurs enfants. Le silence qui règne dans cette scène en plus des nombreux gros plans font de ce moment une scène interminable et perturbante. Finalement, il n’y a que de l’eau qui s’écoule des douches et la majorité des femmes fondent en larmes, soulagées. Schindler viendra finalement les récupérer, puisqu’elles figurent toutes sur la liste qu’il a composée. Cette scène met en relief le fait que Schindler s’est attaché à ces employés et qu’il fera tout ce qui est possible pour les sauver.        

COMPARAISON DES DEUX ŒUVRES
La Seconde Guerre mondiale a enclenché des mécanismes de mises à mort inimaginables. Bien que les camps de concentration et les ghettos n’étaient pas totalement pareils, les bases restaient les mêmes. De ce fait, dans les deux œuvres, les représentations de ces deux lieux sont plutôt semblables. On y voit l’horreur, la faim, les maladies ainsi que la violence. Or, le regard posé sur ces derniers semble différent. Yannick Haenel décrit l’endroit tel qu’il est, sans ajouter d’émotions superflues, sauf lorsque nécessaire. Il y a beaucoup de descriptions des lieux et quelques impressions du messager, Jan Karski; toutefois, le tout reste assez objectif et froid. On ne pourrait en dire autant de Steven Spielberg, qui joue énormément avec le lien entre la tension dramatique et le spectateur. Spielberg réussit, par la peur, l’identification aux personnages et le soulagement, à faire participer le spectateur. Les récits individuels attirent notre attention, mais l’identification se fait à toute une nation. Les personnages sont attachants et Spielberg ne se censure pas dans l’horreur qu’il souhaite montrer; de ce fait, le spectateur est capable d’une grande compassion envers les personnages. La tension constante garde le spectateur actif, toutefois, c’est la lueur d’espoir qui l’attire le plus. Après avoir eu l’impression d’être tombé au «plus bas», le spectateur s’identifie beaucoup plus aux rescapés qu’aux morts, puisque c’est cette réalité qui se rapproche le plus de la sienne[10]. On voit alors que Spielberg a une vision beaucoup plus «hollywoodienne» des camps de la mort et des ghettos que Yannick Haenel. Dans Jan Karski, les faits sont relatés les uns après les autres, en laissant le choix au lecteur de se faire sa propre opinion. Aucun éloge à l’espoir n’est fait, on se concentre sur la vérité. Cette manière de relater les faits pourrait refléter la personnalité des sauveurs : Jan Karski ne s’est jamais déclaré comme un héros, malgré ce qu’il a accompli pour la communauté juive, alors que Schindler semblait, dans le film, être très fier du geste qu’il posait, ce qui souligne encore sa personnalité narcissique.

2.     La perception que la société a des sauveurs
DANS JAN KARSKI DE YANNICK HAENEL

Jan Karski
Jan Karski, aujourd’hui reconnu comme une personne très courageuse, ne fut pas pris au sérieux lorsqu’il dénonça l’extermination des Juifs. Transmettre un message de cette envergure est littéralement suicidaire lors de la Seconde Guerre mondiale. Karski est d’ailleurs enfermé et torturé plusieurs fois et doit utiliser plusieurs faux noms afin de passer inaperçu. Dans le roman, de 1939 à 1942, il doit transmettre le courrier entre la résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil, installé à Paris. En 1942, il est choisi pour transmettre des preuves concrètes de l’extermination au gouvernement en exil, maintenant à Londres. Lorsqu’il réussit à rejoindre le chef du gouvernement à Londres, ce dernier lui demande de rédiger un rapport officiel où il rapportera tout ce qu’il a vu dans les moindres détails. Karski présente son rapport aux autorités britanniques et américaines ainsi qu’aux personnalités influentes (évêques, artistes, journalistes, représentants juifs, etc.) Il rencontre même le président Roosevelt, ce qui ne donne malheureusement aucun résultat.
Il est à se demander ce que les Alliés savaient réellement de la guerre. Bien sûr, la réponse des Alliés face à ce drame n’était pas à la hauteur de la gravité de ce qui se déroulait. Les États-Unis et l’Europe connaissaient l’antisémitisme qui régnait en Allemagne[11]. Toutefois, la «Solution finale» n’était pas connue des Alliés, puisque les nazis ne laissaient plus couler beaucoup d’information. Des renseignements continuèrent tout de même à filtrer et la situation fut réellement connue des Alliés en 1942. L’aviation britannique prit même des photos d’un camp de concentration à Birkenau. Avant le déclenchement de la guerre, des milliers de Juifs cherchèrent à quitter l’Allemagne, mais se sont fait refuser l’entrée dans de nombreux pays à cause de la politique des quotas nationaux[12]. En toute connaissance de cause, ils ne créèrent le Comité des réfugiés de guerre qu’en 1944, financé par des Juifs américains. La libération des camps ne fut jamais un objectif militaire pour les Alliés.
     Pourquoi personne n’écoute Karski? Peut-être que son rapport dépassait la limite d’horreur qu’un humain est capable de s’imaginer, peut-être était-ce tout simplement une stratégie militaire, ou même une preuve d’individualisme énorme. Peut-être n’avait-il pas foi en la personne qui transportait le message : «J’ai toujours été une saleté d’indépendant polonais, comme me l’a aimablement fait savoir un bureaucrate de la Maison-Blanche.[13]» Jan Karski ne subit pas seulement de la persécution de la part des Allemands, mais aussi de la part des gens à qui il livre le message, particulièrement venant de Roosevelt : «Encore aujourd’hui, je l’entends étouffer un bâillement tandis que je parle du sort des Polonais qui résistent aux nazis et de celui des Juifs qu’on déporte dans des camps pour les exterminer.[14]» Le président ne reçoit donc Karski que pour sauver les apparences, en sachant très bien qu’aucune opération ne serait déclenchée; on peut donc imaginer à quel point Jan Karski se sent impuissant alors qu’un président n’est même pas touché par la situation sociale et politique d’un pays en crise.
Dans Jan Karski, ce dernier n’est jamais mentionné comme un héros, mais plutôt comme un citoyen agissant pour le bien de ses confrères : « Jan Karski ne peut pas occuper cette place de témoin à laquelle on l’assigne, et pourtant il l’occupe, qu’il le veuille ou non. »[15] Cette citation souligne le fait que Karski ne s’est pas investi de cette mission, il l’a tout simplement fait, sans se poser de question. La présentation du personnage est sobre et ne laisse pas beaucoup de place à l’émotion.
     D’un point de vue extérieur au roman, bien que Jan Karski ne soit pas pris au sérieux, il est tout de même récompensé des années plus tard. Il reçoit, en 1982, la mention de Juste parmi les nations[16]. Il reçoit aussi le titre de citoyen d’honneur en Israël, plusieurs honoris causa en Pologne et est même candidat pour le prix Nobel de la paix en 1998[17]. Plusieurs monuments sont aussi inaugurés afin de se remémorer l’acte de Jan Karski. Puisque ce dernier n’a pas concrètement sauvé de Juifs, malgré tout ce qu’il a accompli, son action n’est malheureusement pas reconnue à sa juste valeur.     

DANS LA LISTE DE SCHINDLER DE STEVEN SPIELBERG

Oskar Schindler, dans le film de Steven Spielberg, est présenté tel un réel héros. Toutefois, cette perception est mitigée et la vision de Spielberg ne correspond pas totalement à la réalité. Comme Schindler est membre du parti nazi, il est difficile d’expliquer pourquoi il change d’opinion si rapidement. Une réalité extérieure au film le démontre bien : même les Juifs de Schindler n’ont jamais compris pourquoi il a agi ainsi avec eux. Toutefois, on dit de lui que c’était un homme qui aimait être aimé et être nécessaire dans la vie des gens. Peut-être cela motiva-t-il son sauvetage. Schindler, lors de la guerre, déclare que sa «métamorphose» est due à l’immensité de la Solution finale, qui est insupportable à ses yeux : pour lui, les Juifs ne sont que des humains innocents[18].
Oskar Schindler
      Dans La liste de Schindler, le directeur est toujours montré sous son meilleur jour, un sourire aux lèvres, ce qui met en lumière le côté héroïque de son geste. Ce fait est d’autant plus appuyé grâce aux nombreux plans en contre-plongée, qui souligne la supériorité du personnage. Le film est en noir et blanc, ce qui montre l’horreur de la Seconde Guerre mondiale ainsi que la noirceur de cette période. Par contre, lorsque la guerre est terminée et que les Juifs de Schindler quittent l’usine, le film devient en couleur, pour souligner la joie qu’éprouvent ces derniers. Encore une fois, on assiste à une scène où Schindler est un héros et réussit sa mission. Cette fin «hollywoodienne» a fait le succès du film, sans quoi il aurait été trop pessimiste.
      Toutefois, on peut se questionner à propos de la véracité des faits qu’a utilisés Steven Spielberg. Bien sûr, plus de 1000 Juifs ont été sauvés. Cependant, lorsqu’ils sont sortis de l’usine, ils ont réalisé l’ampleur de la situation. Ils n’avaient, pour la plupart, plus de famille, de maisons. Ils avaient été protégés, mais maintenant, ils n’avaient plus nulle part où aller et personne ne les attendait. Les Juifs de Schindler ont eu à vivre un énorme deuil, ce qui n’est pas illustré dans le film.
Ainsi, si Schindler est considéré comme un héros dans La Liste de Schindler, en revanche, sa réputation n’est pas aussi positive dans la réalité. Il a, lui aussi, été récompensé du titre de Juste parmi les nations. Certaines personnes croient toutefois qu’il ne méritait pas ce titre et qu’il n’a posé ce geste que pour économiser par le biais de la main-d’œuvre. Il y a aussi une énorme controverse entourant le titre de Justes[19] : ils ne reçoivent pas qu’une médaille comme récompense. Ils reçoivent aussi un versement mensuel équivalent au salaire moyen d’Israël. On dit qu’un juste ne doit demander aucune récompense pour son geste, alors que l’État d’Israël leur soumet une somme tous les mois. Il est d’autant plus inéquitable qu’un Juif ne puisse recevoir ce prix, puisqu’il est considéré «normal» qu’il risque sa vie pour un des siens.
L’univers extérieur au film démontre qu’Oskar Schindler est isolé et persécuté après la guerre. Il représente la «mauvaise conscience» du peuple allemand et leur rappelle constamment qu’ils auraient pu faire quelque chose, malgré l’ampleur de la Solution finale. Plusieurs anciens employés  tentent de l’aider, mais Schindler dépense tout ce qui lui reste dans l’alcool et, malgré lui, sombre dans un alcoolisme dangereux. Malgré toute la controverse qui entoure ce personnage, seuls les Juifs sauvés par Schindler connaissent réellement leur histoire et seront reconnaissants pour la vie envers leur sauveur : «Un jour, les Russes approchaient et il était impératif pour nous d’être transférés ailleurs. Le directeur Schindler a donc déménagé son entreprise et nous a amenés avec lui. Schindler a même pris sous son aile des Juifs presque mourants, même s’il savait qu’ils ne pourraient jamais travailler. Il en a sauvé 80 sur 100.[20]» Ces Juifs ont écrit un témoignage afin que le monde entier soit au courant de l’ampleur du geste de Schindler.  

COMPARAISON DES DEUX ŒUVRES
Les deux personnages principaux des œuvres tentent de sauver la communauté juive. Toutefois, leur image est totalement opposée. Encore une fois, Yannick Haenel décrit Jan Karski simplement, sans artifice. Il n’est pas dépeint comme un «super héros», mais simplement comme quelqu’un de bien qui a essayé de poser un bon geste. Dans le roman, Karski est tellement bouleversé par la situation et le fait que les Alliés ne leur apportent aucune aide qu’il prend tout le blâme sur ses épaules : « j’ai compris que la salut n’arriverait pas, qu’il n’arriverait plus jamais, que l’idée même du salut était morte. »[21] L’échec de sa mission le marque pour toujours. Cette réaction démontre qu’il est une personne humble et qu’il ne cherche pas la gloire à travers le message qu’il porte. Son désir d’aider est sincère et réaliste: il sait qu’il ne sauvera pas tous les Juifs d’Europe, mais il tente le tout pour le tout. La façon dont se perçoit Jan Karski témoigne aussi du fait qu’il n’a pas réussi sa mission, contrairement à Schindler.
      Si Jan Karski est montré comme une personne humble, on ne peut en dire autant d’Oskar Schindler. Ce dernier est illustré comme une personne narcissique et sophistiqué. Tout au long du film, il témoigne d’une attitude positive et est montré tel un surhomme. Dès le début, il règne une confusion quant aux intentions du membre du parti nazi d’aider les Juifs. Il change d’opinion si rapidement qu’on se demande si c’est réellement sincère. De plus, le film est tellement axé sur l’émotion qu’il est évident pour le spectateur que Schindler est un héros. Schindler, dans la réalité, n’a pas une réputation aussi positive, les opinions sont beaucoup plus nuancées à son sujet.  
      Bien que la personnalité des personnages soit opposée et que l’un ait réussi sa mission alors que l’autre non, les deux ont reçu le titre de Juste parmi les nations. Il faut aussi préciser que les sauveurs sont représentés à travers des œuvres et que les auteurs de ces œuvres peuvent les manier comme ils entendent le faire. On ne peut donc pas prendre ces œuvres pour la réalité.

3.      La pression d’une telle mission
DANS JAN KARSKI DE YANNICK HAENEL

Une telle mission ne vient pas sans danger : Karski risque sa vie de nombreuses fois afin d’aider les Juifs. Il se retrouve tout d’abord dans un ghetto et est ensuite envoyé dans un camp de concentration, d’où il réussit à s’évader. Son ami lui donne un faux nom afin de passer inaperçu. C’est à ce moment qu’il entre dans la Résistance polonaise : à chaque fois qu’il change de ville, Karski doit changer de nom. Il se promène de Pòznan à Lwòw, de la France à la Hongrie. Chaque déplacement est risqué, le simple fait d’être démasqué aurait des conséquences fatales pour le messager. Les dirigeants de la Résistance l’informent que si jamais il est arrêté par les Allemands, ils ne pourront rien pour lui, néanmoins, si c’est par les Soviétiques, ce sera plus simple, mais toutefois dangereux. Jan Karski se retrouve souvent à l’hôpital suite à des blessures, puisqu’il a à marcher de nombreux kilomètres entre les villes, parfois même dans la neige. Le moment le plus intense du roman est celui où Karski transporte un microfilm pour le gouvernement polonais en exil. Il est capturé par la Gestapo et torturé pendant de nombreux jours. Karski n’en peut plus et tente de se suicider en s’entaillant les poignets. Il s’évanouit et se retrouve à l’hôpital où la Gestapo le surveille constamment. Comme il sait qu’il ne pourra s’en sortir, il essaie de penser à un plan pour une autre tentative de suicide. Cependant, le personnel de l’hôpital l’aide à s’échapper durant la nuit et à partir de ce moment, il doit se cacher en permanence, car la Gestapo est à sa recherche. Karski décrit sa situation: «  […] l’atmosphère douloureuse de la Résistance, hantée par le spectre de la Gestapo.[22]» Cette métaphore témoigne de l’enfer constant qu’il vit à travers la peur d’être arrêté. L’atmosphère est déjà lourde à supporter, toutefois, il doit être vigilant par rapport à la gestapo, qui le recherche vu son rôle au sein de la Résitance. Cet épisode horrible le pousse à écrire le rapport faisant état des circonstances en Allemagne, qu’il transmet à plusieurs personnalités susceptibles de secourir les Juifs.
     
Bien que Karski risque sa vie plusieurs fois afin de transmettre le message dont il s’est investi, il n’en oublie pas moins sa portée après la guerre, dans sa vie quotidienne. En réalité, cette histoire l’a tant anéanti qu’on dit de lui que c’est comme si la terre s’ouvrait sous ses pieds. Personne n’est venu à son secours et le fardeau qu’il a porté toute sa vie a fait de lui un homme «disparu», absent[23]. Yannick Haenel décrit Karski ainsi dans son roman : «[…] pas un survivant, mais quelqu’un qui avait vu quelque chose qu’on ne peut pas voir, et qui doit le faire entendre.[24]» Cette antithèse met en lumière le fait que Karski est une personne simple qui ne recherche pas la reconnaissance même s’il a dû subir d’extrêmes sévices afin d’atteindre son but : ce qu’il a vu est si effroyable qu’il est impossible de le décrire. Il ne se considère que comme un survivant et admet difficilement qu’il a joué un rôle considérable au sein de la Seconde Guerre mondiale, puisque sa mission a échoué. Il est mentionné dans le roman que Jan Karski ne se pardonnera jamais l’échec de la transmission du message dont il était le porteur, malgré le fait qu’il a risqué plusieurs fois sa vie et qu’il a fait tout ce qui lui était possible de faire. Il aurait voulu pouvoir aider la communauté juive, mais n’y est pas arrivé, c’est donc une défaite amère qui le suivra toute sa vie. De ce fait, Karski se sentira impuissant face au monde pour le restant de ses jours et se questionnera sans cesse quant à la violence et à la conscience humaine.

DANS LA LISTE DE SCHINDLER DE STEVEN SPIELBERG
Oskar Schindler, afin de sauver ces employés, risque aussi sa vie. Bien sûr, le cas de Schindler est plus complexe que celui de Karski, puisqu’il est membre du parti nazi. Ce parti encourage l’antisémitisme, alors que Schindler décide de venir en aide aux Juifs; il se retrouve ainsi dans une position absurde. Il est très ardu de catégoriser Schindler, puisqu’il profite de la situation tout en ayant de bonnes intentions : l’homme n’est jamais tout blanc, ni tout noir.
      Le fait qu’il est un riche industriel membre du parti nazi lui fait jouir d’une certaine protection face aux Allemands. Au début, il embauche des Juifs pour leurs faibles coûts, il souhaite donc profiter de la guerre afin de s’enrichir. Cet opportunisme n’a rien d’héroïque. Toutefois, Schindler prend conscience du fait que les Juifs sont des humains qui méritent d’être traités comme tel. Son désir de s’enrichir se transforme en ambition plus altruiste: sauver ces employés, peu importe ce que cela implique. On peut donc dire qu’il risque sa vie pour eux, puisque si les Allemands découvraient ses intentions, ils l’auraient immédiatement abattu. Schindler n’a pas que risqué sa vie, il a aussi dépensé toute sa fortune dans les pots de vin qu’il donnait aux Allemands en vue de soustraire ces employés aux déportations vers les camps de concentration. Dans le film de Spielberg, Schindler, lors de conversation avec les nazis, est souvent filmé en contre-plongée pour suggérer que son action de secourir la population juive est «supérieure» à celle des nazis de l’exterminer. Le directeur Schindler en est conscient puisqu’il a lui-même plongé dans l’univers de l’antisémitisme, mais ressent tout de même une fierté quant à la mission dont il s’est investi. Pour que les adeptes de la doctrine d’Hitler ne se mêlent pas des affaires du directeur, ce dernier leur donnait régulièrement de grosses sommes d’argent. Dans le film, ces sommes étaient toujours filmées en gros plans, passant de la main de Schindler aux nazis, ce qui accentuait les risques de sa mission.   
      Bien que Schindler ne mentionnait pas ces intentions clairement aux nazis, il a toujours tenu fermement à sauver ses protégés lorsqu’ils étaient «accidentellement» déportés. Les Allemands auraient pu découvrir ses réelles intentions à travers sa ténacité à retrouver ces employés plutôt que d’en engager d’autres, ce que tous membres du parti nazis auraient naturellement fait. Dans des circonstances exceptionnelles peuvent naître des attitudes exceptionnelles, et c’est ce qui est arrivé pour Schindler. Le bon traitement qu’il réserve aux Juifs est très bien illustré dans le film, simplement par le fait qu’il appelle ces employés par leurs noms et non par leurs matricules : cela illustre une grande humanité ainsi que de la compassion de la part du directeur.
      Malgré son désir d’enrichissement, il a mis sa fortune au service des opprimés et a, de ce fait, sauvé plus de 1000 juifs. Héros ou non, il a joué de son charisme et de son savoir-faire pour mener à bien son sauvetage, il fut même arrêté trois fois par ses confrères nazis: cela témoigne de l’énorme bonté de son geste. Bien que Schindler a réussi la mission qu’il s’était donnée, cette période de sa vie lui laissera d’énormes séquelles. On dit d’Oskar Schindler qu’il a énormément changé après la guerre, n’ayant plus de but à atteindre. Il a dû subir les persécutions des Allemands de son entourage et a sombré dans l’alcoolisme. La pression de la mission qu’il s’était donné auparavant le suivit pour le restant de ces jours.

COMPARAISON DES DEUX ŒUVRES
Oskar Schindler et Jan Karski ont tous deux tenté de sauver les Juifs à leur façon. Karski risque la mort très souvent, puisqu’il fait partie de la Résistance polonaise, ce qui est jugé illégal car cette idéologie s’oppose aux valeurs du parti nazi. Ses déplacements sont donc très périlleux. De plus, il porte du matériel qui le relie aisément à la Résistance, il aurait donc été condamné instantanément s’il avait été arrêté. Malgré le fait que les personnages ont les mêmes ambitions, Schindler jouit encore d’une situation opposée à celle de Karski. Oui, il met sa vie sa vie en danger puisqu’il tente de sauver des Juifs alors que les Allemands souhaitent les éliminer. Toutefois, le fait qu’il est membre du parti nazi lui procure une certaine sécurité face aux Allemands. De plus, Schindler est très fortuné, ce qui lui permet de payer les nazis en échange de la protection de ses employés.
      Même si leurs situations sont une fois de plus opposées, les deux personnages ont un point commun : ils ont tous deux subi une pression énorme à cause de leur mission et cette pression n’est pas retombée après la guerre. Karski s’est senti si impuissant face à l’extermination des Juifs qu’il a trainé ce sentiment sur ses épaules toute sa vie. Quant à Schindler, il n’a jamais été capable de se rebâtir une vie comme il avait avant, il a subi beaucoup de discrimination et n’a pu la supporter, il a donc noyé ses démons dans l’alcool. Les répercussions d’un tel mandat sur une vie sont énormes puisque ces deux personnages se sont opposés à une idéologie qui était approuvée par presque tous les Allemands. «Qui témoigne pour le témoin ?[25]»

Conclusion

Bref, l’aide qui a été apportée aux Juifs lors de la Seconde Guerre mondiale par des non-juifs est représentée dans le roman Jan Karski de Yannick Haenel ainsi que dans le film La liste de Schindler de Steven Spielberg. Dans les deux œuvres, la vue des ghettos ainsi que des camps de concentration déclenche chez les personnages principaux un besoin urgent d’aider la communauté juive en pleine extermination. Toutefois, Jan Karski et Oskar Schindler ne sont pas perçus de la même manière dans la société. Karski, une personne humble, est reconnu comme un héros, malgré le fait qu’il refuse de l’admettre. Quant à Schindler, une personne plutôt narcissique, les points de vue sont plus nuancés à son égard : certains le voient comme un sauveur alors que d’autres le voient comme un opportuniste. Les deux sauveurs n’ont pas eu la même chance : Karski n’a pas réussi à transmettre le message dont il s’était investi, alors que Schindler est parvenu à sauver plus de 1000 Juifs. Les deux ont par contre hérité du titre prestigieux de Juste parmi les nations, ce qui prouve la reconnaissance de la population juive à leur égard. Il faut préciser que les deux personnages proviennent de camps opposés et ils n’ont pas bénéficié de la même sécurité. Une telle mission entraîne inévitablement une énorme pression sur les protagonistes : Karki a risqué sa vie plusieurs fois dans ses voyages et Schindler aussi, en faisant affaire avec les nazis pour jouir d’une sécurité plutôt précaire pour ses employés. Leur impuissance face à l’immensité de la Solution finale les marquera malheureusement pour la vie, ils seront tous deux hantés par les atroces images dont ils ont été témoins.
     
      Il peut être très surprenant de constater qu’un membre du parti nazi a ainsi aidé ce qu’ils appelaient leurs «ennemis». Il faut toutefois préciser que les Allemands subissaient une énorme pression quant au fait d’adhérer à la doctrine d’Hitler, puisqu’ils étaient sous les effets de la propagande et étaient constamment surveillés. On peut, en conséquent, déduire que certains Allemands n’étaient pas en accord avec toutes les solutions proposées par le parti national-socialiste. Les Juifs et les Allemands ne formaient qu’un pays avant la Solution finale, des amitiés étaient donc inévitablement déjà formées, peu importe la « race ». Ce sujet a été exploité dans plusieurs œuvres, notamment dans le livre Mon ami Frédéric[26] d’ Hans Peter Richter, qui raconte la montée du nazisme en Allemagne. Le petit Frédéric est Juif et est ami avec un Allemand. Dès 1933, la situation de la famille de Frédéric devient de plus en plus difficile, jusqu’à l’assassinat de ses parents par des membres du parti national-socialiste. Les parents allemands et membres du parti nazi de son ami risqueront leurs vies pour aider le petit Frédéric. Malgré ce que l’on peut penser, les notions de compassion et d’empathie ne disparaissent pas sous la peur et l’impuissance en temps de guerre, elles ne font que s’intensifier.












Médiagraphie     
JAN KARSKI
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[1] L’alterfiction c’est la ligne entre la fiction et la réalité, tel Jan Karski de Yannick Haenel, où s'enchaînent faits bruts et fiction à la première personne.
A. Brocas, « Le temps de l’alterfiction », dans le Magazine Littéraire, n. 490.
[2] P. Ouellet, « La preuve vivante », dans Spirale, p. 44.
[3] Titre décerné par l’État D’Israël, devenu un nom commun pour la société.
[4] [s.a], « La dévalorisation du juif », dans Propagande nazie, [en ligne], (7 février 2012).
[5] C. Lanzmann, «Jan Karski's emotional testiomony », extrait de Shoah.
[6] Y. Haenel, Jan Karski, p. 101.
[7] C. Lanzmann, op. cit.
[8] Y. Haenel, op. cit., p. 108.
[9] S. Spielberg, La liste de Schindler.
[10] M. Condé, « La Liste de Schindler », dans Centre culturel LES GRIGNOUX, [en ligne], (7 février 2012).
[11] C. Hérvé, « La SHOAH, ce que les Alliés et… le Gouvernement Suisse savaient », dans Revue Militaire Suisse, [en ligne], (22 février 2012)
[12] S. Lucas, « Les Alliés savaient-ils? », dans Le Monde, [en ligne], (7 février 2012)
[13] Y. Haenel, Jan Karski, p. 155.
[14] Ibid., p. 128
[15] Y. Haenel, Jan Karski, p. 14.
[16] Cette expression est tirée du judaïsme et veut dire, en hébreu, « généreux des nations du monde.» Ce titre a été inventé en 1953, par l’État D’Israël et sert à honorer ceux qui ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs. Vers 1950, on voit en Israël un désir de commémorer les victimes de la Shoah. Cet hommage a une signification éducative et morale; Pour avoir cet hommage, le juste doit avoir aidé un Juif, avoir été conscient du fait que sa vie était en danger s’il l’aidait et ne chercher aucune récompense à son geste.
[17] [s.a], « Jan Karski », dans Universalis, [article en ligne], (22 février 2012).
[18] L., Bülow, Oskar Schindler, [en ligne], (26 février 2012).
[19] Wikipedia, Justes parmi les nations, [en ligne], (site consulté le 1 février 2012).
[20] L., Bülow, Oskar Schindler, [en ligne], (26 février 2012).

[21] Y. Haenel, Jan Karski, p. 121.
[22] Y. Haenel, Jan Karski, p. 113.
[23] [s.a], « Jan Karski », dans Universalis, [article en ligne], (22 février 2012).
[24] Y. Haenel, Jan Karski, p. 119.
[25] P. Celan, Gloire de cendres.
  [26] S. Lecomte, « Fiche de lecture de Le pianiste », dans Fiches de lectures, [article en ligne], (7 février 2012)